Jonathan, frère de Sarah, 17 ans, en Syrie depuis 2014
« Apparemment elle s’est mise dans la religion et elle a connu les mauvaises personnes ».
« Ma sœur Sarah est quelqu’un de réservé, de très timide. Elle ne va pas vers les gens. C’était une jeune fille comme tous les autres. Elle aimait bien rigoler. On rigolait sur tout et n’importe quoi. Elle ne savait pas trop de quoi serait fait son avenir. Elle gardait ses opinions pour elle.
Avant de se mettre dans la religion elle était scolarisée au lycée de Carcassonne. Il y a un peu plus d’un an elle s’est vraiment intéressée à la religion. Nous ne sommes doutés de rien. Au contraire c’était plus une fierté pour notre famille. Nous avons grandi dans une famille où l’on respecte les principes de l’Islam : on ne mange pas de porc, on ne boit pas d’alcool, on fait le ramadan mais on ne fait pas la prière tous les jours.
Sarah s’était déscolarisée de son lycée. Quinze jours avant son départ elle s’était inscrite dans une école de la seconde chance dans l’idée de passer un diplôme de vente. Lorsqu’elle s’est mise dans la religion elle a voulu porter le «jilbel» (le voile intégral ndlr). Elle allait prier le vendredi à la mosquée de Carcassonne. Le port du voile intégral a peut être joué dans le fait qu’elle se soit déscolarisée mais ce n’est pas la seule raison. C’est un tout : elle était démotivée. Elle n’a pas eu pas un parcours scolaire extraordinaire. Je ne sais pas si elle portait le « jilbel » en cours. Elle n’a jamais évoqué de réflexions de la part des enseignants ou de ses camarades à ce sujet. Une fois dans la rue alors qu’elle marchait voilée un automobiliste a baissé sa vitre et l’a visée comme s’il tenait une arme dans sa main. Cela l’a marquée et ça nous a inquiétés aussi.
Apparemment elle s’est mise dans la religion et elle a connu les mauvaises personnes. Pour nous c’est une incompréhension totale parque ce n’est pas ce qui est dit dans le Coran. Le problème des jeunes qui rentrent dans la religion sans rien y connaître est qu’ils peuvent tomber sur des personnes qui leur bourrent le crane sur l’interprétation du Coran. Pour les jeunes ces gens sont la référence : ils savent tout. En fait nous ne comprenons pas. Je le répète : il n’y a pas eu de changement de comportement chez Sarah. Quand on voyait des reportages à la télévision sur la Syrie elle n’était pas insensible mais elle disait qu’il fallait les aider sur le plan humanitaire. Sans plus. On ne se doutait pas un seul instant qu’un matin sur le chemin de l’école elle partirait.
On ne sait toujours pas qui a pu l’endoctriner. Ma sœur était quelqu’un qui ne sortait jamais. Donc à mon avis c’est forcément par des gens rencontrés sur des réseaux sociaux. Au lycée elle avait une copine qui suivait la religion. Peut être que ça a un peu accéléré les choses. Depuis son départ nous n’avons eu aucune nouvelles de cette amie. Cette dernière n’a pas cherché à nous joindre pour savoir où était ma sœur. Quand nous avons appris que Sarah avait pris un billet Marignane Istanbul on était encore loin de se douter qu’elle allait rejoindre la Syrie.
Elle est partie le mardi 11 mars dernier. Mon père l’a déposée le matin à la gare pour qu’elle se rende à son école. Elle avait dix minutes de transport. Elle a appelé à midi pour dire qu’elle déjeunait avec sa copine. En fait les gendarmes nous ont appris qu’à ce moment là elle était déjà à Vitrolles. Puis elle a pris l’avion dans l’après midi. Elle nous a rappelé le vendredi soir. Elle nous a dit qu’elle allait bien. Elle nous a tenu le discours que tout ceux qui vont là bas tiennent : " je vais bien, je mange bien, je dors bien, et qu’il ne fallait pas s’inquiéter pour elle, que la Syrie ce n’était pas comme ce que montraient les médias."
Elle nous a dit qu’elle était dans les environs d’Alep. Quand on cherche à en savoir plus, elle nous répond qu’elle ne peut pas nous donner plus d’informations. Depuis qu’elle est partie elle nous a appelé deux fois mais elle communique aussi sur Facebook. Dans ses propos on sent qu’elle est toujours avec quelqu’un. Je suis certain que ce n’est pas toujours elle qui nous envoie des messages sur Facebook. Quand on lui parle elle nous fait répéter les questions comme si elle demandait l’autorisation de répondre à quelqu’un avec elle. On essaie de jouer sur les sentiments mais elle nous tient tête en nous disant « qu’il ne faut pas croire ce que raconte la télévision ». Les enquêteurs à qui nous avons signalé son départ ne nous tiennent au courant de rien. Ce qui prouve qu’elle a été endoctrinée c’est l’argent pour partir, elle n’a pas retiré d’argent sur son compte, et elle ne nous a pas volé. L’argent pour son départ et son vol Marignane-Istanbul elle l’a bien trouvé quelque part.
Aujourd’hui je veux dire aux parents d’être plus vigilants. Les jeunes passent beaucoup de temps sur leur téléphone et les réseaux sociaux. Il faut leur poser des questions pour savoir quels sont les faits auxquels ils sont sensibles. Mais on ne peut pas être 24h sur 24 derrière eux pour savoir ce qu’ils font et s’ils veulent nous cacher des choses ils y arrivent. Ceux qui endoctrinent les jeunes sont intelligents. Il ne faut pas les sous estimer. Et il faut bien se mettre dans la tête que ça ne touche pas que les gens de culture musulmane. On croit que ça n’arrive qu’aux musulmans ou qu’aux maghrébins. Cela touche toutes les familles : des français des chinois des américains. Il y a plus de 70 nationalités engagées dans le Jihad en Syrie.
Ceux qui les endoctrinent se servent de la religion pour les amadouer. Dans l’Islam il est interdit d’enlever un enfant à sa mère. Ils font croire à nos enfants que leur projet d’instauration d’un Etat islamique en Syrie c’est tout beau. Alors que la Syrie est un pays en guerre. Il leurs disent qu’ils partent là bas pour faire de l’humanitaire. Aujourd’hui le gouvernement français doit changer la loi qui permet à des mineurs de sortir du territoire avec un passeport valide. Il faudrait que le gouvernement remette en place les autorisations de sortie du territoire pour les mineurs.
Ceux qui endoctrinent les jeunes doivent leur dire de ne pas modifier leur comportement. J’ai discuté avec ma sœur le dimanche. Elle est partie le mardi et nous n’avons rien vu Il faut être vigilant et se dire que ça n’arrive pas qu’aux autres.
La France a peur du retour de ces jeunes. On ne les retient pas pour qu’ils partent mais on craint leur retour ».