Valérie : je ne cherche plus à la convaincre de rentrer

Je suis passée par la colère, la rage, au point d’être méchante avec elle, de la supplier, prête à lui inventer n’importe quoi.

Elle est partie le 5 juin 2013 de la maison. Nous avons immédiatement fait une déclaration de disparition inquiétante au commissariat. Elle a été retrouvée par hasard au mois de juillet 2013 lors d’un contrôle d’identité. Nous sommes allés la chercher au commissariat et l’avons ramenée à la maison. Elle est repartie dans la nuit. Entre temps, nous avons fait un dépôt de plainte pour soustraction de mineur auprès du tribunal de Bobigny. Ça ne l’a pas empêché de prendre l’avion pour la Turquie et de passer la douane avec son compagnon qui était recherché. Notre fille est en Syrie depuis le mois de novembre 2013. Cela fait plus d’un an aujourd’hui. Nous avions demandé à notre fille d’arrêter de fréquenter le jeune homme avec qui elle est partie. Elle nous avait fait croire qu’elle ne le fréquentait plus.

Nous ne nous sommes doutés de rien. Jusqu’à sa fugue de la maison, nous n’avions pas vu l’endoctrinement de notre fille. Il n’y avait eu aucun changement tant sur le plan physique, ni dans son attitude, ni dans son alimentation ou quoi que ce soit. Pour nous il n’y avait pas de risque et comme on lui avait demandé d’arrêter avec ce jeune homme nous étions tranquilles. C’est une gentille fille respectueuse, avec ses valeurs qui n’étaient pas du tout dans la religion. Elle avait des copains et des copines, Elle sortait seule. Nous étions très proches toutes les deux. On était tout le temps ensemble. Elle était aussi proche de ses frères et de sa famille. Elle préparait un bac pour aller vers le commerce international. Elle travaillait bien

J’ai fait la connaissance de son copain il y a deux ans. Lorsqu’elle me l’a présenté, il ne m’a pas regardé dans les yeux. Il ne m’a pas serré la main. Pour moi c’était un très mauvais signe. Puis il est venu à la maison il ne parlait qu’à mon mari. Il lui a tout de suite parlé de mariage. Moi je n’existais pas du tout. C’est la qu’on a dit à notre fille qu’il fallait absolument arrêter cette relation avec lui. Elle a dit oui, mais il lui a acheté un autre téléphone pour qu’elle continue à le contacter sans que l’on s’en rende compte.

Sur le plan policier il n’y a pas eu de continuité par rapport à notre dossier. En juillet nous avons retrouvé notre fille en burqa au commisariat. Ca a été le premier choc. A cette époque, mon mari et moi étions dans le déni. On se disait que notre fille allait se reprendre en retrouvant son milieu familial, qu’elle allait avoir le déclic en retrouvant sa chambre. Ça ne s’est pas du tout passé comme ça. Le soir même, j’ai commencé à vouloir parler avec elle, mais c’était impossible d’avoir une explication du pourquoi du comment.

La seule chose qu’elle était capable de me dire, c’est qu’elle « avait les mains qui allaient vers le ciel ». Elle me disait: «c’est le vent, c’est Allah ». On aurait dit une gamine complètement droguée. A cette époque là, je n’étais pas prête à entendre non plus certaines choses, j’avais une très forte colère; je ne comprenais pas que ma fille ait pu fuguer et partir du jour au lendemain sans nous prévenir. J’ai quand même su qu’elle avait été enfermée pendant deux semaines avec des « sœurs » pour lui apprendre la religion et qu’elle était contente. Elle avait changé de prénom entre-temps. J’ai appris qu’elle s’était mariée. Je ne sais pas qui les a mariés. Elle ne disait pas grand-chose car, pour elle, nous n’étions que des « mécréants ». Nous ne pouvions pas comprendre.

Après son second départ dans la nuit, elle est restée quatre mois sur le territoire français. Elle n’est partie en Syrie que le 11 novembre, mais les autorités n’ont rien fait entre temps. Dans mon dialogue avec elle, je ne cherche plus à la convaincre de rentrer. Je l’ai eu fait. Je suis passée par la colère, la rage au point d’être méchante. Je l’ai suppliée pour qu’elle revienne, prête à lui inventer n’importe quoi, que son père était gravement malade et moi aussi, que je partais en Syrie. J’ai tout fait, j’ai même failli la faire revenir, elle me l’avait demandé, mais ça n’a pas marché. Je pense qu’elle a été dénoncée.

Je veux amener cette expérience auprès des autres familles. Il est important d’avoir un soutien moral, d’avoir des groupes de parole, c’est tellement difficile à vivre ! Dans ce combat, nous sommes principalement des femmes. Nous sommes les seules à garder le contact avec nos enfants. Très peu en ont avec leur père. Les garçons ou les files qui partent s’adressent à leurs mères ou leurs sœurs. Absolument pas avec les pères ou les frères. Il faudrait également faire la différence sur ce qui reviennent pour faire des « attentats » et ceux qui se sont rendus compte que ce n’était pas de l’humanitaire qu’il faisaient la bas.

Il y a des parents qui ne s’en remettent pas du tout. Personne ne s’en remet, mais certains ont plus de force que d’autres.